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Oh les filles !




Cela faisait longtemps que je n’avais plus écrit d’article sur le viol et la culture qui l’accompagne, lassée de répéter toujours la même chose, pour n'obtenir en retour que des regards sceptiques, amusés ou agacés. Et puis ce matin, je suis tombée sur un article Facebook relatant une tentative d’agression dans une boite de nuit de ma région, et j’ai lu les commentaires. Oui, je sais, c’est complètement con de ma part de lire les commentaires sur ce genre d’article, car je finis toujours par tomber sur un lot d’avis qui me donnent envie de vomir et/ou de foutre le feu à quelque chose. Mais j’y peux rien, c’est comme les cacahuètes : une fois que j’ai commencé, je n'arrive plus à m’arrêter.

Je faisais donc défiler ce flot ininterrompu de saloperies, quand j’ai été frappée par un détail qui peut paraître anodin, mais qui a son importance. La majorité des commentaires commençant par « si c’est vrai » ou « ouais, mais aussi » étaient postés par des filles. Bien sûr, il y avait aussi quelques bons petits commentaires postés par des mecs du style « si les filles se respectaient, aussi, au lieu de s’habiller comme des putes de télé-réalité ! » et leurs dérivés.

Mais si vous voulez, des hommes hétérosexuels élevés à grand coup de clichés et de patriarcat qui m’expliquent ce que je dois faire de mon corps, de ma vie, de mes fringues… j’en croise à la pelle tous les jours, et je leur pisse à la raie depuis que je suis en âge d’avoir compris qu’ils ne pouvaient pas comprendre, parce qu’ils sont dénués de ce sentiment d’empathie qui consiste à arrêter une seconde de penser en se regardant le nombril pour se mettre à la place de la personne en face et tenter de comprendre ce qu’elle ressent. Donc, pas surprise de trouver ce genre de commentaires. Pas surprise non plus de trouver des hommes qui défendent la victime, parce que, non, tous les hommes ne sont pas des pourris et des salauds, certains sont aussi des gens biens qui ne voient pas dans la femme le sexe opposé et un garage à bite, mais un être humain que l’on doit traiter avec respect comme n’importe quel autre être humain, qu’il soit membré ou non.

Mais les filles, les filles, putain ! Qu’est-ce qui vous prend ? C’est déjà pas assez compliqué de lutter au quotidien contre le harcèlement de rue, les inégalités salariales, la discrimination à l’embauche, la culture du viol, le patriarcat, la charge mentale, le slut et le body-shamming, les misogynes et sexistes de tous poils ? Faut qu’en plus on se tire dans les pattes ?

Je sais bien qu’au fond, ce n’est pas tout à fait de votre faute ; la société nous élève depuis toute gamine en nous montant les unes contre les autres, nous poussant à nous jalouser, à nous envier, à nous critiquer. Mais il faut lutter contre cet instinct qui incite des nanas à écrire sur le net ou dans des magazines « je préfère traîner avec des mecs, les mecs font moins d’histoires et ne sont pas des garces ». Prenez donc deux minutes pour réfléchir avant de l’ouvrir via votre petit clavier et la meilleure photo de votre meilleur profil !

Pourquoi vous en prenez-vous  à la victime ? Pour quel autre crime se demande-t-on si la victime n’est pas coupable ? Quand quelqu’un se fait égorger dans une rue, est-ce qu’on entend les autorités compétentes dire « ouais, mais aussi, il l’avait bien cherché à sortir sans se couvrir le cou ! » ? Non ! Je ne comprends pas, les filles ! Vous ne sortez jamais de chez vous la nuit, vous n’allez jamais danser, vous n’avez jamais envie de porter une mini-jupe, d’aller faire vos courses sans vous faire siffler/alpaguer/tripoter ? Vous n’avez pas envie de pouvoir faire tout ça sans être en stress, sans craindre à tout instant qu’il vous arrive un truc et, qu’on vous montre ensuite du doigt en vous traitant de menteuse, et en vous disant que si vous vous êtes fait démonter, c’est qu’au fond vous l’aviez cherché ?

Ou alors, vous vous dites que ça n’arrive qu’aux autres, c’est ça ? Les salopes, comme certains les appellent, celles qui ne se respectent pas et qui, au fond, l’ont quand même bien mérité. Mais ça veut dire quoi, se respecter ? Vouloir être libre de porter les vêtements qu’on veut, de parler et de bouger librement, ce n’est pas se respecter ? Pouvoir changer d’avis à la dernière minute, et voir ce choix compris par l’autre, ce n’est pas se respecter ? Prendre du plaisir en s’envoyant en l’air, ce n’est pas se respecter ?

Oh, les filles ! Comme l’a dit une dame d’un âge respectable et portant un nom à particule en commentaire d’un post sur la possibilité d’ouvrir un lieu naturiste dans un parc, il fut un temps où le sexe était considéré pour ce qu’il était : un acte charnel qui amène au plaisir entre deux acteurs consentants, un moment de pur bien-être sans contrainte sociale ou sociétale. Vous ne voyez pas ce qui se passe, les filles ? Vous ne voyez pas qu’on régresse ? Qu’on nous élève dans la peur, dans la soumission pour nous empêcher de nous amuser, de prendre du plaisir, pour nous maintenir serviles et dociles ?

Donc c’est ça, vous pensez que ça n’arrive qu’aux autres, les traînées, les chiennes, celle qui ont le courage d’emmerder les bien-pensants pour vivre leur vie comme elles l’entendent. Désolée de vous dire ça, les chéries, mais ça n’arrive pas qu’à ces filles-là, que vous jugez et méprisez, et dont vous blâmez une éducation dont vous ne savez rien. Ça peut vous arriver à vous aussi parce que, pendant qu’on nous apprend à nous laisser contrôler par le manque de contrôle des hommes et à dire merci en plus, on n’éduque pas ces messieurs à respecter les femmes et à mieux comprendre le sens du mot « non ».

Dans un viol, il y a la victime, peu importe son attitude ou sa tenue, mais il y a aussi et surtout l’agresseur. Et c’est lui le problème, pas la longueur de la jupe de sa victime ou la profondeur de son décolleté. Lui, qui s’est permis de toucher et de prendre possession de ce qui ne lui appartient pas, parce qu’on ne lui a pas appris à demander la permission avant ou pire, parce qu’on lui a fait croire que ça lui était dû.

La plupart des garçons n’ont pas peur le soir en rentrant chez eux, la plupart des garçons ne se font pas mettre la main aux fesses dans le métro, la plupart des garçons ne se font pas violer impunément, même si ça arrive aussi malheureusement, et qu’à eux aussi on répond parfois qu’ils l’ont bien cherché et qu’au fond c’est qu’ils ont aimé ça. Et la plupart des femmes ne coincent pas des garçons dans des ruelles sombres ou des toilettes sordides au prétexte qu’ils portaient un jean moulant. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que le chromosome Y rend plus tordu que le double XX ? Ou, tout simplement, que tant qu’on continuera à éduquer les filles comme des proies et à ne pas dire aux garçons qu’ils ne sont pas les rois de la savane, ce genre de situation continuera à arriver ?

N’oubliez pas, les filles, que ces choses arrivent tous les jours et pas qu’aux autres. N’oubliez pas que, demain, ça pourrait être vous, et que vous n’aurez pas envie, si une telle horreur vous arrive, qu’on vous accable encore d’avantage. N’oubliez pas que, dans la majorité des viols, la première question que se pose la victime ensuite c’est « est-ce de ma faute ? », et que la réponse est invariablement NON. N’oubliez pas que, si nous voulons que les hommes et les femmes soient égaux, nous devons être éduqués tous, et pas seulement la partie de la population pourvue d’un vagin. N’oubliez pas qu’on ne naît pas femme, on le devient, douloureusement parfois, et en se battant tous les jours. N’oubliez pas que, tant que certains ne calmeront pas leurs instincts de chasseur, nous serons toujours des proies, où que nous allions et quoi que nous fassions. Et n’oubliez pas qu’ensemble, on est plus forts, et qu’ensemble, on peu faire changer les choses. Et par pitié, réfléchissez avant de vous servir de votre clavier pour répéter toutes les idioties dont on vous bourre le crâne depuis des années ! Défendez-vous, aimez-vous et soyez bienveillantes, le Monde est déjà assez merdique comme ça !   

Love

A.S

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